Le Monstre de Piscine

Virginie Ronteix

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Virginie Ronteix

Arthus déteste la piscine. Arthus a la trouille. Arthus ferait n'importe quoi pour ne pas aller à la piscine le jeudi avec sa classe.
Le mercredi déjà, la peur arrive à petits pas. Ça commence quand Arthus doit faire son sac de piscine. La Grande Peur Bleue... Puis le mal de ventre quand il faut aller se coucher. En se brossant les dents, Arthus a le trouillomètre à zéro. Puis c'est l'heure de l'histoire. Mais Arthus n'entend pas l'histoire parce qu'il est déjà avalé et mâchouillé par... le Monstre de Piscine.
Vous n'avez jamais entendu parler du Monstre de Piscine ? Et pourtant, il existe ! Arthus l'a dessiné. Le Monstre de Piscine est énoooorme. Il a une bouche grande ouverte, pleine de dents pointues. Ses bras sont des tentacules venimeux. Il est gris foncé, mais il est capable de modifier sa couleur. C'est pour ça que les adultes et certains enfants ne le voient pas. Le Monstre de Piscine se cache !
Le jeudi, Arthus a mal partout. Dans le bus il a envie de vomir, il a trop chaud, trop froid, il tremble comme une feuille. Il connaît par cœur : on arrive dans les vestiaires, on se change, on prend une douche, on met la ceinture avec les flotteurs. Et on se retrouve sur le bord du bassin...
Arthus grelotte. Il le voit, comme je vous vois, sous l'eau, proche de la surface : le Monstre de Piscine ! Ses bras flottent, s'enroulent sur eux-mêmes, la bave sort de sa gueule béante et se dissout dans l'eau du bassin. Comment ça se fait que les autres ne le voient pas ? C'est un mystère. Mais pour Arthus, le Monstre de Piscine est bien réel...
La grande perche du maître-nageur, vous pensez que c'est pour aider les enfants qui ne savent pas encore bien nager ? En fait, non ! C'est pour crever les yeux du Monstre de Piscine. Et les trous dans l'eau qui font tout chaud quand on passe devant ? C'est sa grotte sous-marine. C'est là qu'il déguste tranquillement ses victimes. Arthus en est persuadé.
À la piscine, le jeudi, il y a souvent une vieille dame qui vient nager en même temps que la classe d'Arthus. Tout le monde l'appelle « Mami Nénuphar ». Parce que sa technique de nage est un peu particulière. On ne peut pas vraiment dire qu'elle nage. Disons qu'elle flotte. Et elle a un bonnet de bain vraiment très spécial avec des fleurs qui dépassent de l'eau quand elle nage. Un peu comme... un nénuphar.
Aujourd'hui, comme pour les autres séances, Arthus n'a pas sauté dans l'eau. Mami Nénuphar, qui a observé la séance, lui a fait un signe de la main pour qu'il s'approche.
— Alors mon garçon ? On dirait que c'est pas trop ton truc, la piscine ?
Arthus bredouille et tremble avant de presque articuler un « nnnoon » en claquant des dents.
— C'est parce que toi aussi tu le vois ? dit la vieille femme en lui faisant un clin d'œil.
Alors d'un coup Arthus se sent moins seul au monde.
— Vous le voyez, vous aussi ?
— Oui mon grand. Le Monstre de Piscine. Mais...
— Mais ?
— Il ne s'approche pas de moi.
— Oh ! c'est vrai ?
— Oui... Tu vois le bracelet que je porte ? C'est un bracelet qui a une capacité spéciale. Il éloigne les Monstres de Piscine. Comme je crois que maintenant tu en as plus besoin que moi, je te le donne.
Arthus met le bracelet autour de son bras.
Mami Nénuphar reprend :
— Ensuite, il faut aussi crier bien fort « à l'abordaaaage » en sautant dans l'eau. Comme ça, on lui écrase le nez et il ne remonte plus jamais à la surface. Penses-y, la prochaine fois, ça marche à tous les coups.
Arthus regarde Mami Nénuphar avec ses grands yeux de trouille. Il la remercie.

* * *

Sur le chemin du retour, Arthus est un peu rassuré. Il repense à la phrase qu'il faudra prononcer en sautant. Bon d'accord, il faudra sauter. Mais bon, si ensuite on est débarrassé... ça vaut peut-être le coup de tenter l'aventure ? Il y réfléchit en touchant le petit bracelet bleu.
La semaine se passe. Arthus a gardé le bracelet au poignet. Il a répété « à l'abordage » devant le grand miroir de la salle de bain. Et petit à petit, il devient sûr de pouvoir y arriver.

* * *

Mercredi. Petit mal de ventre. Arthus s'accroche.
Jeudi. Le bus. La boule au ventre est toujours là, mais Arthus a répété la scène des centaines de fois dans sa tête.
Dans le vestiaire, Arthus met son maillot de bain, ses lunettes de plongée, ses flotteurs. Et le bracelet bleu.
Tout est comme d'habitude... Tout ? Non... Pas tout à fait. Mami Nénuphar est là, assise sur le bord du bassin. Elle lui fait un petit signe de la main quand il arrive. Elle l'encourage pour le grand saut... Et le grand cri. De loin, ses fleurs de bonnet de bain sont encore plus étranges que lorsqu'elles flottent sur l'eau. On dirait une gorgone.
C'est maintenant... Le maître-nageur invite les enfants à sauter dans la piscine. Comme à chaque fois. Mais cette fois, Arthus est prêt. Il a son arme secrète.
Les pieds d'Arthus sont au bord de la piscine. Et soudain il le voit. Le Monstre de Piscine est là. Affreux et monstrueux, il fait vraiment peur. Arthus pense un instant qu'il va être sa prochaine victime. Et puis il décide que NON !
Cette fois Arthus va gagner le combat. Il respire profondément. Son cœur va exploser. Heureusement, Mami Nénuphar surveille la scène. Tout à coup, Arthus pousse son cri de guerre. « À l'abordaaaageee ! » Et il saute ! En plein sur l'œil du Monstre de Piscine. Prends ça dans la tête, vilain affreux ! Arthus se débat et envoie des coups de pied et des coups de poing dans tous les sens. À un moment, il a le courage de regarder sous l'eau. Et... ça a marché ! Le Monstre de Piscine a disparu. Arthus a gagné ! Il n'a plus peur. Et il n'aura plus jamais peur.
Les autres enfants ont trouvé ça très drôle et ils se jettent tous à l'eau en hurlant « à l'abordaaaage ». On dirait une horde de pirates. Mami Nénuphar applaudit lorsqu'ils remontent à la surface. « Bravoooooo ! »
Mami Nénuphar a serré Arthus dans ses bras. En le félicitant, elle lui a demandé de regarder autour de son bras. L'élastique bleu a disparu. « Tu vois, mon petit Arthus, enfin, je devrais plutôt dire mon grand ! Tu as réussi et tu n'as plus besoin du bracelet puisqu'il est tombé tout seul ! Tu peux vraiment être fier de toi ! »
Et en effet, depuis ce jour-là, Arthus n'a plus jamais eu peur de l'eau... À l'abordage, moussaillon, à l'abordaaaage !
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Illustration : Mathilde Ernst

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